PERTURBATEURS ENDOCRINIENS

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PERTURBATEURS ENDOCRINIENS

Le grand public est alerté régulièrement sur les risques liés à l'exposition de l'homme à certains produits chimiques présents dans l'environnement. La toxicité du bisphénol A, l'épandage de pesticides sur les cultures ou encore les risques associés aux déchets industriels déversés dans les rivières font l'objet de nombreux débats dans les médias. Depuis la Seconde Guerre mondiale, l'utilisation de plus en plus intense de produits chimiques dans une très vaste gamme d'applications quotidiennes pourrait avoir des conséquences néfastes pour la santé humaine mais aussi pour la faune sauvage.

Parmi les nombreux polluants présents dans l'environnement, les perturbateurs endocriniens font l'objet d'une attention particulière. Ces molécules chimiques modifient d'une façon souvent subtile les grands systèmes hormonaux qui contrôlent la physiologie, le développement embryonnaire ou encore la reproduction des organismes. Les hormones, produites par les glandes endocrines (d'où l'appellation de perturbateurs endocriniens pour les substances chimiques responsables de ces dérèglements hormonaux) sont des messagers essentiels dans l'organisme car elles permettent aux différents tissus de communiquer et de réguler précisément des grandes fonctions comme la reproduction ou l'appétit mais aussi des équilibres importants comme le taux de sucre dans le sang ou le taux de calcium (équilibre hydrominéral). Des anomalies des systèmes hormonaux peuvent donc avoir des conséquences néfastes pour l'organisme.

Les perturbateurs endocriniens ont des modes d'action et des effets particuliers par rapport à d'autres poisons : ils sont actifs à de très faibles doses et peuvent révéler leurs effets bien des années après l'exposition initiale. Quelles sont ces molécules ? Comment ont-elles été mises en évidence ? Quel est leur mode d'action ? Autant de questions qui font l'objet de travaux aujourd'hui en plein essor et qui mobilisent des scientifiques provenant de domaines très variés. Ainsi, épidémiologistes, toxicologues, endocrinologistes, sociologues, chimistes, biologistes moléculaires, embryologistes, médecins ou génomiciens collaborent dans des projets communs où la recherche fondamentale et la recherche appliquée sont menées dans un dialogue constant.

1.  Définition des perturbateurs endocriniens

Il existe de très nombreux composés chimiques qui ont été associés à une action de perturbation endocrinienne (cf. tableauPrincipaux perturbateurs endocriniens). C'est le cas par exemple de plastifiants comme le bisphénol A (dont l'utilisation dans la fabrication des biberons a été interdite en France en 2010) ou les phtalates, des isolants électriques comme les polychlorobiphényles ou PCB (interdits en France depuis 1987), des insecticides comme le célèbre dichloro-diphényl-trichloroéthane ou DDT (dont l’usage en agriculture a été interdit dans les années 1970 et 1980 dans la plupart des pays industrialisés) ou de produits utilisés en cosmétique comme les parabènes. On définit les perturbateurs endocriniens comme des molécules, naturelles ou produites par l'homme, qui interfèrent, positivement ou négativement, avec les systèmes hormonaux (fig. 1Système endocrinien chez l'homme et la femme), entraînant ainsi des déséquilibres hormonaux au sein de l'organisme. L'Union européenne a proposé, en 1999, une définition officielle dans le but de clarifier le concept de perturbation endocrinienne. Ainsi, un perturbateur endocrinien est « une substance ou un mélange exogène (c'est-à-dire étranger à l'organisme vivant) altérant les fonctions des systèmes hormonaux et induisant donc des effets nocifs sur la santé d'un organisme intact, de ses descendants ou sous-populations ».

Principaux perturbateurs endocriniens Tableau

Principaux perturbateurs endocriniens Quelques exemples de perturbateurs endocriniens très étudiés depuis les années 2000.  Ces substances, le plus souvent persistantes dans l’environnement, se retrouvent dans les pesticides, dans divers produits industriels mais aussi dans des produits naturels, comme le soja (consommé par l’homme) qui… 

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Système endocrinien chez l'homme et la femme Dessin

Système endocrinien chez l'homme et la femme Différentes glandes endocrines constituent le système endocrinien humain. Ces glandes sécrètent des hormones qui agissent comme messagers chimiques. Ces substances sont déversées et transportées jusqu’aux organes cibles. Là, elles viennent se fixer à des récepteurs spécifiques et déclenchent leurs e… 

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La perturbation endocrinienne peut se produire via de multiples mécanismes. Si une molécule modifie la production d'une hormone à sa source, ou les mécanismes d'activation de cette hormone, son transport à l'intérieur du corps ou encore son action au niveau des récepteurs (qui sont spécifiques de chaque hormone), on aura une perturbation endocrinienne. Cette modification est particulièrement sensible au cours du développement embryonnaire ou chez le jeune enfant, périodes pendant lesquelles les hormones contrôlent la mise en place des organes reproducteurs mais aussi les mécanismes de communication entre ces organes et le système nerveux. Si une molécule vient activer ou inhiber un récepteur hormonal à la place de l'hormone naturelle (et donc modifier l'activité de ce récepteur dans un tissu ou à un moment inapproprié), les conséquences peuvent être importantes. Les perturbateurs endocriniens sont soupçonnés d'être la cause, entre autres, de la baisse du taux de spermatozoïdes des hommes des pays occidentaux, de l'augmentation du nombre des anomalies des organes génitaux des garçons à la naissance, mais aussi de puberté précoce des filles dans certaines populations humaines. Dans ces cas, les perturbateurs sont dits reprotoxiques puisqu'ils affectent les capacités reproductrices des organismes. Il faut cependant insister sur le fait que ces molécules ne sont certainement pas les causes uniques de ces anomalies : à chaque fois, il existe un déterminisme multifactoriel de ces désordres et il faut tenter de déterminer les différentes causes possibles. C'est pour cette raison que l'aspect interdisciplinaire des recherches est particulièrement important.

2.  L'émergence du concept de perturbateur endocrinien

Avant de présenter les résultats des recherches entreprises sur ces molécules, il est utile d'examiner comment le concept de perturbateur endocrinien a émergé. Ce sont principalement deux lignes de recherche très différentes qui ont permis aux scientifiques de réaliser que de très petits changements dans l'activité des systèmes endocriniens pouvaient avoir des conséquences graves en termes de reproduction, de comportement ou de physiologie.

Le premier axe concernait l'influence des hormones sur l'établissement du comportement chez la souris. Dans les années 1970, un chercheur américain, Frederick Vom Saal, a observé deux types de mères chez la souris : des « bonnes » mères, attentives à leur progéniture, qui formaient la majorité de la population, et des « mauvaises » mères, plus agressives et présentant plus de capacités d'exploration de leur environnement (fig. 2Influence des hormones sur le comportement des souris). Il a pu relier les différences de comportement de ces souris adultes à leur position dans l'utérus au cours de l’embryogenèse. Ce chercheur a démontré que les mauvaises mères étaient en fait des femelles qui, par hasard, s'étaient retrouvées entre deux mâles dans l'utérus. Ces femelles ont alors été exposées aux androgènes, l'hormone responsable de la mise en place des comportements agressifs chez les mâles. Au contraire, les bonnes mères étaient des femelles localisées entre deux femelles ou entre un mâle et une femelle et donc exposées à des quantités moindres d'androgènes. Frederick Vom Saal a mesuré la quantité (infime, de l'ordre de 0,2 picogramme, soit 0,2 × 10–12 gramme) d'androgènes à laquelle les femelles situées entre deux mâles étaient exposées et a pu montrer expérimentalement que cette quantité avait effectivement cet effet. En étudiant de plus près ces mauvaises mères, il a pu mettre en évidence toute une série de différences anatomiques, physiologiques et comportementales avec les autres femelles. Ainsi, une très petite différence dans les concentrations d'androgènes lors de la grossesse se traduit par des différences anatomiques et comportementales importantes et permanentes chez l'adulte. Il s'agit d'une indication claire qu'une infime altération de l'équilibre hormonal lors du développement d'un individu peut avoir de fortes conséquences bien longtemps après.

Influence des hormones sur le comportement des souris Dessin

Influence des hormones sur le comportement des souris La position des embryons dans l’utérus d’une souris gestante influe sur leur imprégnation hormonale et sur leur futur comportement. Sur ce schéma, huit embryons (quatre dans chaque moitié d’utérus) sont en cours de développement. À gauche, la femelle OF (en jaune) est entourée de deux mâles (en bleu… 

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Le second exemple à l'appui du concept de perturbation du système endocrinien est une histoire beaucoup plus tragique : celle du diéthylstilbestrol ou DES (substance commercialisée en France sous le nom de distilbène), un médicament qui a été utilisé chez les femmes enceintes, surtout dans les années 1950 et 1960, pour éviter les fausses couches. On estime que cette substance a été administrée à environ 1 p. 100 des femmes enceintes pendant cette période, ce qui représente probablement 1 à 2 millions de femmes exposées aux États-Unis et environ 200 000 en France. Dans les années 1970, on a observé qu'un cas rare de cancer, l'adénocarcinome du vagin, était lié à l'exposition au DES. Cependant, ce n'était pas les mères ayant pris le médicament qui ont été touchées par la maladie, mais leurs filles. On sait désormais qu'il existe une relation directe entre l'exposition prénatale au DES avant la septième semaine de grossesse et le développement de la maladie et que le risque de développer cette forme de cancer rare est vingt fois plus important chez les filles qui ont été exposées à cette substance. Par la suite, il a été montré que les garçons des femmes traités au DES présentaient également une anomalie des organes reproducteurs. Le DES a finalement été interdit en 1971 aux États-Unis, et en 1977 en France.

Deux leçons scientifiques importantes peuvent donc être tirées de ces exemples. La première est que l'effet d'une molécule peut être transgénérationnel : si la molécule peut avoir de faibles conséquences pour la personne qui l’a ingérée, elle peut entraîner des effets importants dans les générations suivantes, signant ainsi un délai très long entre l'exposition et les effets. La seconde leçon est qu'il existe des fenêtres temporelles d'effets de cette molécule : les bébés dont la mère a été traitée au DES assez tard (après la septième semaine) ne sont pratiquement pas affectés par cette exposition.

Ces deux axes de recherche ont donc permis de fournir un cadre général dans lequel ont été réunies d'autres observations de troubles de la reproduction. Lorsque toutes les pièces de ce puzzle ont été mises en place, le concept de perturbation endocrinienne a été fixé en 1991 lors de la conférence de Wingspread, aux États-Unis.

3.  Les perturbateurs endocriniens dans l'environnement

Dans les populations animales sauvages, de multiples anomalies ont été associées à la présence de perturbateurs endocriniens dans l'environnement : diminution de la fertilité, anomalies de la détermination du sexe (féminisation ou masculinisation) chez les oiseaux, les poissons et les mammifères, comportements reproducteurs perturbés, malformations congénitales. Elles se sont révélées d'autant plus importantes et fréquentes dans les zones où étaient présents des produits chimiques fabriqués par l'homme (pesticides, produits industriels), telles que les Grands Lacs d'Amérique du Nord ou de nombreux estuaires. Ainsi, des rapaces, tels que les aigles, ont développé divers défauts de leur système de reproduction à la suite de l'ingestion répétée de proies contaminées au DDT, ce composé ayant pu s'accumuler dans leur corps.

L’action des perturbateurs endocriniens sur la reproduction est bien illustrée par l’exemple des alligators du lac Apopka en Floride, qui ont été étudiés par l'équipe de Louis Guillette, de l'université de Floride (fig. 3Perturbateurs endocriniens et anomalies chez les alligators). Ce lac a été pollué par les produits agricoles régulièrement épandus sur les champs voisins. En outre, un mélange de dicofol (pesticide), de DDT et de DDE (dichlorodiphényldichloréthylène), provenant d'un établissement industriel, a été déversé accidentellement dans ce lac en 1980. Durant les années 1980, un déclin spectaculaire de la population d'alligators de ce lac a été observé, dû à une forte mortalité des embryons : seuls 20 p. 100 des œufs pondus donnaient des jeunes viables. Il était déjà clair à cette époque que le dicofol ainsi que le DDT et ses produits de dégradation (par exemple, le DDE) ont la capacité d'agir comme des œstrogènes en se liant au récepteur de ces hormones sexuelles féminines. Il était donc tentant d'incriminer ces molécules dans les effets observés. Cela a été démontré d'abord en observant que, lorsqu'on les compare à ceux d'autres lacs (notamment le lac Woodruff, situé dans une zone non polluée), des taux élevés de contaminants étaient présents dans les œufs d'alligators du lac Apopka. Ensuite, les chercheurs ont constaté que les alligators du lac Apopka présentaient effectivement de graves anomalies des organes reproducteurs : les mâles possédaient le plus souvent un pénis de très petite taille et les femelles étaient pourvues d'ovaires anormaux, similaires à ceux de souris traitées au DES. Ces animaux présentaient également des taux anormaux d'hormones impliquées dans la reproduction, ce qui montre bien qu'ils étaient affectés d'un déséquilibre hormonal majeur. L'équipe de Louis Guillette a ensuite cherché à obtenir des indications plus directes prouvant que les contaminants, dont la présence est décelée dans le lac, étaient capables d'affecter la signalisation œstrogénique et d'induire les effets observés. Elle a montré que la plupart des polluants identifiés dans le lac Apopka sont capables de se lier au récepteur des œstrogènes d'alligator. Toutefois, lorsque des œufs d'alligators provenant d'une zone non polluée ont été traités en laboratoire avec les différents composés isolés (dicofol, DDE ou DDT), on n'a pas retrouvé les anomalies détectées chez les animaux du lac. Ce résultat négatif illustre la difficulté de ce type d'analyses. En effet, de nombreuses différences existent entre la situation « naturelle » dans le lac et la situation expérimentale : le traitement expérimental a été effectué une fois, à un moment donné, avec le composé pur, alors que dans le lac, les embryons sont chroniquement affectés par le composé et ses éventuels produits de dégradation stockés dans l'œuf. Plus important encore, de nombreux composés différents ont été recensés dans le lac et c'est probablement l'effet « cocktail » des mélanges de composés qui est responsable des perturbations observées au sein de la population d'alligators du lac Apopka.

Perturbateurs endocriniens et anomalies chez les alligators Dessin

Perturbateurs endocriniens et anomalies chez les alligators Depuis les années 1980, les alligators du lac Apopka en Floride présentent  diverses anomalies de leur appareil reproducteur dont un pénis de petite taille. Ce schéma compare la longueur et le diamètre du pénis des alligators issus de deux zones de ce lac pollué (en vert) à ceux qui vivent  dans un … 

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On voit à travers cet exemple que même dans une situation relativement simple, où l'on a affaire à une population d'animaux exposés à une gamme bien déterminée de composés, il n'est pas facile de reproduire les effets observés et donc de comprendre dans le détail les liens de causalité. Pourtant, cette démarche est indispensable pour proposer, dans un second temps, des politiques de prévention et éviter autant que possible les contaminations.

Que dire alors de la situation des populations humaines ? Pour des raisons éthiques évidentes, il n'est pas possible de faire des expériences directes d'exposition sur l'homme. On se retrouve donc, dans la plupart des cas (sauf accidents industriels et expositions professionnelles), à devoir effectuer des corrélations entre une exposition à un produit donné et une anomalie observée. Mais une corrélation n'est pas un lien causal et il reste toujours une incertitude derrière laquelle tel ou tel lobby ou groupe de pression peut se retrancher. Les débats qui apparaissent sur ces domaines dans la presse ou dans les journaux spécialisés montrent bien qu'effectivement le consensus est difficile à atteindre.

Il faut cependant insister sur le fait que les expériences menées sur les animaux de laboratoire sont nécessaires pour comprendre les effets précis de telle ou telle molécule. Il faut noter que si la biologie de la reproduction de la souris et de l'homme (appartenant tous les deux au groupe des mammifères) est similaire, des différences importantes existent cependant entre les deux, ce qui rend parfois difficile le passage d'un modèle à l'autre. Par exemple, la durée de vie de la souris est courte ; c'est donc un piètre modèle pour étudier chez l'homme les effets à long terme d'une exposition prolongée sur de nombreuses années. Il n'en reste pas moins que, dans bien des cas, les effets observés chez la souris sont transposables à l'homme : ainsi, l'effet du DES sur l'appareil reproducteur femelle est quasi identique chez la femme et chez la souris, ce qui montre bien que l'on peut déduire les effets d'une anomalie de la signalisation œstrogénique à partir d'expériences menées sur cette dernière. Ainsi, les résultats obtenus indiquent que la diffusion dans l'environnement de produits chimiques potentiellement nocifs sur le système endocrinien peut malheureusement altérer la capacité de reproduction de nombreuses espèces animales, y compris chez l'homme.

4.  Les principales pistes de recherche

Les perturbateurs endocriniens étant un enjeu de santé publique de plus en plus préoccupant, les recherches actuelles sur ces molécules explorent de nombreuses directions. Il est impossible ici d'en donner une description complète mais on peut toutefois mentionner trois axes essentiels.

D'abord, on s'aperçoit de plus en plus que les effets de ces molécules, dépassent largement le cadre de la reproduction. Depuis le début des années 2000, de nombreuses observations suggèrent que des perturbateurs endocriniens peuvent agir sur d'autres grands systèmes physiologiques. Il a par exemple été démontré que certains phtalates, que l'on retrouve dans les matières plastiques comme le PVC (polychlorure de vinyle), sont capables d'activer des récepteurs spécifiques, les PPAR (peroxisome proliferator activated receptors), qui interviennent dans le contrôle du taux de cholestérol et, plus largement, dans le métabolisme des graisses. Le tributyletain, un produit utilisé dans les peintures de bateau (et banni depuis 2002 par l'association maritime internationale) pour éviter la fixation d'algues sur les coques, est également un activateur de ces récepteurs. Il a été montré que l'exposition à ces produits induit, chez certains animaux, l'accumulation de graisse. Pour cette raison, les molécules qui entraînent un tel effet sont appelées des obésogènes. On considère donc très sérieusement que, en plus du mode de vie sédentaire et d'éventuelles prédispositions génétiques,l'exposition aux obésogènes pourrait être un des facteurs responsables de l'importante augmentation de l'obésité et des désordres métaboliques observés dans les pays industrialisés.

Ensuite, d’autres effets des perturbateurs endocriniens ont été mis en évidence : des liens entre des anomalies comportementales de l'enfant (autisme, hyperactivité) ont été suggérés même si il est encore bien trop tôt pour conclure. Par ailleurs, en utilisant différents modèles animaux, des effets variés concernant le développement embryonnaire des individus ont été mis en évidence. Ainsi, il a été montré en 2011 que le bisphénol A induit des anomalies de l'oreille interne chez des embryons de poissons-zèbres. Bien sûr, en pareil cas, il est impossible de tirer des conclusions sur de possibles effets similaires chez l'homme, mais cela illustre en tout cas que la gamme des effets associés à ces molécules est plus vaste que ce que l'on pensait.

Une autre direction d'étude est l'élargissement préoccupant de la gamme des molécules potentiellement nuisibles à l'environnement. On a ainsi observé une contamination des eaux de rivières, d'estuaires et même, dans certains cas rares, de nappes phréatiques avec des résidus de médicaments utilisés par l'homme. En effet, que deviennent les médicaments avec lesquels l'homme se soigne ? La plus grande partie est de fait évacuée dans les toilettes et se retrouve donc dans les eaux usées, lesquelles sont retraitées par les stations d'épuration. Si celles-ci retiennent sans aucun doute une bonne partie de ces molécules, on connaît mal le devenir de ces dernières (antidépresseurs, contraceptifs, anti-inflammatoires...) une fois dispersées dans l'environnement. Certaines de ces substances sont rapidement dégradées, d'autres sont au contraire très stables, d'autres encore sont transformées par les micro-organismes de l'environnement en molécules différentes qui peuvent présenter une activité. Des travaux sont désormais menés afin d'étudier plus en détail leur persistance et leur nocivité éventuelles.

Finalement, la détection de ces molécules polluantes dans différents substrats s'est considérablement améliorée. Grâce aux progrès de la chimie analytique mais aussi aux développements d'animaux transgéniques (rongeurs, grenouilles, poissons), qui expriment une protéine fluorescenteTêtard fluorescent facilement détectable lorsque telle ou telle voie de signalisation (par exemple celle des œstrogènes) est activée, il est possible de mettre en évidence ces molécules. Ces techniques permettent de tester la présence éventuelle de polluants actifs dans des eaux de rejets industriels, dans une sortie de station d'épuration ou dans le liquide d'un contenant en plastique. Cela permet donc d'anticiper les contaminations éventuelles et les prévenir.

Têtard fluorescent Photographie

Têtard fluorescent Têtard rendu fluorescent  grâce à un marqueur génétique spécifique des perturbateurs endocriniens agissant sur la fonction thyroïdienne. On a introduit dans le génome de cet animal le gène de la protéine fluorescente verte (GFP, green fluorescent protein). On s'arrange pour que cette protéi… 

Crédits: Watchfrog Consulter

Depuis les années 2000, il y a dans les pays occidentaux une véritable prise de conscience de l'impact potentiel des perturbateurs endocriniens. Cela a par exemple abouti à l'adoption, en décembre 2006, de la législation européenne REACH (Registration, Evaluation and Authorization of Chemicals) qui réglemente l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques en Europe. Un effort de recherche important concernant ces molécules et leurs effets a également été mis en place. Cette vigilance nouvelle permettra, dans l'avenir, de prévenir les risques qui sont associés à ces substances nocives.

Vincent LAUDET

 

 
 
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BIBLIOGRAPHIE

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Publié dans Sciences, santé

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